L’expérience de la taxe sur les yachts illustre la difficulté de taxer les biens et les fortunes ultra-mobiles. À l’heure où la taxe Zucman est débattue, l’histoire semble se répéter.
Un exemple parlant : la taxe sur les yachts
En 2018, le gouvernement français instaurait une taxe sur les yachts de plus de 30 mètres. L’objectif affiché : 10 millions d’euros de recettes fiscales par an. La réalité est tout autre : en 2024, seuls 60 000 euros ont été collectés. Autant dire une goutte d’eau.
Pourquoi un tel échec ?
Parce que les yachts, contrairement aux immeubles, sont par définition mobiles. Quelques dizaines de grands propriétaires ont simplement déplacé leur port d’attache vers des marinas italiennes, espagnoles ou monégasques, échappant ainsi à l’impôt. Le nombre de navires concernés en France est tombé à 5 en 2025, contre plusieurs dizaines auparavant.
Cette fuite n’est pas un secret.
Comme l’explique un élu local interrogé par Europe1, « la Côte d’Azur se vide de ses yachts ». Même constat dans The Guardian : « French Riviera yachts sail to Spain and Italy as tax clampdown bites »
Carburant et fiscalité : un cocktail dissuasif
Si la taxe sur les yachts a cristallisé l’attention médiatique, la vraie raison économique des départs est ailleurs : le prix du carburant.
Un yacht de 50 mètres peut consommer plusieurs centaines de litres de fuel par heure en navigation, selon sa vitesse et son design. À titre d’exemple, certains modèles atteignent environ 400 à 500 litres/heure à pleine vitesse, tandis qu’en croisière économique la consommation peut descendre autour de 100 à 200 litres/heure.
Avec des réservoirs pouvant dépasser les 50 000 litres, un plein complet représente facilement plusieurs dizaines, voire plus de cent mille euros, selon le prix local du carburant. C’est précisément sur ce point que l’Italie et l’Espagne offrent un avantage compétitif majeur, grâce à une fiscalité plus favorable sur le fuel destiné aux yachts.
Résultat : même sans la taxe sur les yachts, de nombreux armateurs auraient déplacé leur base. Mais cette taxe, combinée aux charges sociales sur les équipages et aux règles françaises sur la TVA des charters, a renforcé une perception d’hostilité.
Comme le résume un observateur cité par FEE.org : « un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte ».
Un manque à gagner colossal pour l’économie locale
La question n’est pas seulement fiscale. L’enjeu est celui des externalités positives générées par la présence de yachts :
- Pleins de carburant réalisés dans les ports français
- Droits d’amarrage et location de places de port
- Emploi local dans la maintenance, l’avitaillement, le catering, le nettoyage
- Dépenses indirectes des propriétaires et de leurs invités dans l’hôtellerie, la restauration et le luxe
Selon les estimations des professionnels du secteur, un yacht de 40 mètres génère environ 1 million d’euros de retombées locales par an.
En faisant fuir quelques dizaines de navires, la France a perdu bien plus que les 10 millions d’euros attendus. L’Italie et l’Espagne, elles, ont profité de cet afflux, engrangeant à la fois les taxes et l’activité économique associée.
Le parallèle avec la taxe Zucman
Pourquoi cette histoire refait-elle surface aujourd’hui ?
Parce que la taxe Zucman, proposée au niveau international pour taxer les ultra-riches sur la base de leurs fortunes financières, soulève les mêmes questions.
Tout comme un yacht, un portefeuille d’actifs ou une résidence fiscale est hautement mobile. Les individus fortunés disposent des moyens et de la flexibilité nécessaires pour déplacer leur résidence fiscale ou leurs avoirs en quelques mois.
Jean-Baptiste Say, déjà au XIXe siècle, écrivait :
« Un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte. Par une raison contraire, une diminution d’impôt, en multipliant les jouissances du public, augmente les recettes du fisc et fait voir aux gouvernements ce qu’ils gagnent à être modérés. »
L’État français n’a pas appris de ses erreurs : plutôt que de chercher à attirer et fidéliser cette clientèle internationale, il envoie des signaux répulsifs.
Le choix crucial entre modération ou fuite
L’échec de la taxe sur les yachts est devenu un cas d’école.
- Objectif : 10 M€ de recettes fiscales
- Réalité : 60 k€ collectés
- Conséquence : des milliards perdus en retombées locales
La leçon est simple : plus un actif est mobile, plus la taxation punitive est inefficace.
Dans le cas des yachts, les nouveaux ports d’attache sont « ravis » : ils vendent le carburant, facturent les anneaux, emploient les chantiers navals. Dans le cas des milliardaires, ce seront d’autres places financières qui accueilleront leurs investissements.
En matière fiscale, la compétitivité ne se joue pas seulement sur les taux, mais sur la perception globale d’attractivité. Et la France, en la matière, semble s’obstiner à envoyer les mauvais signaux.