Et si le salut économique du « Vieux Continent » passait par un allègement institutionnel plutôt qu’un nouveau plan d’investissement ?
Dans un essai publié sur constitutionofinnovation.eu, trois figures majeures du monde académique — Luis Garicano (LSE), Bengt Holmström (MIT, prix Nobel 2016) et Nicolas Petit (EUI) — proposent une réflexion profonde sur les freins à l’innovation en Europe. Leur constat : l’Union européenne a dérivé d’un projet d’intégration économique vers un modèle centré sur la régulation. Leur remède : instaurer une “constitution de l’innovation” pour restaurer la capacité du continent à croître et à innover.
Un continent qui a perdu le rythme de la croissance
Entre 1950 et 1980, l’Europe a connu une expansion sans précédent. Le revenu moyen par habitant a triplé, la productivité a bondi et les heures travaillées ont diminué. Mais, depuis 1995, le rythme s’est essoufflé : la croissance annuelle moyenne plafonne à 1 %, contre près de 2 % aux États-Unis.
Pour les auteurs, ce ralentissement n’est pas un hasard. L’Europe s’est progressivement enfermée dans une logique administrative, multipliant les normes au détriment de l’expérimentation et de la prise de risque. Ce qu’ils appellent “l’intuition réglementaire” a remplacé la logique d’intégration et d’innovation qui avait guidé les pères fondateurs du marché commun.
Quand la régulation devient contre-productive
L’article souligne le coût caché du “Brussels effect” : la capacité de l’UE à imposer des standards mondiaux s’accompagne souvent d’une lourdeur réglementaire. Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) aurait ainsi entraîné une baisse de 26 % des investissements en capital-risque par rapport aux États-Unis.
À cela s’ajoute la fragmentation juridique : chaque État membre adapte ou ajoute des règles nationales, créant une mosaïque de contraintes qui dissuadent l’investissement et ralentissent la diffusion de l’innovation.
Une « constitution de l’innovation » comme boussole institutionnelle
Plutôt que de réclamer de nouvelles dépenses publiques, les auteurs proposent un cadre institutionnel simplifié et lisible :
- Recentrer l’Union sur sa mission première : la prospérité par le marché unique et la libre circulation des biens, services, capitaux et personnes
- Limiter le recours aux directives, sources d’interprétation divergente, au profit de règlements directement applicables.
- Créer un “28e régime européen”, un statut juridique optionnel unique pour les entreprises opérant dans plusieurs États membres.
- Introduire des clauses “sunset”, obligeant à réévaluer périodiquement la pertinence des lois.
- Renforcer l’évaluation économique avant toute nouvelle législation.
Ce projet ne prône pas la dérégulation, mais la reconstruction d’un écosystème propice à l’innovation : un droit prévisible, une concurrence ouverte, et une bureaucratie mesurée.
« Faire moins, mais mieux »
Les trois chercheurs plaident pour un retour aux fondamentaux : un marché intégré, des institutions stables et une confiance retrouvée dans la capacité d’entreprendre. Leur message est limpide : sans croissance, l’Europe ne pourra ni financer son modèle social, ni garantir sa souveraineté technologique, ni peser dans le nouvel ordre économique mondial.
Dans une période où la question de la compétitivité revient au cœur des agendas politiques et économiques, cette réflexion a le mérite d’articuler lucidité, pragmatisme et ambition.
Les auteurs :
- Luis Garicano : professeur à la London School of Economics, ancien député européen (Renew Europe), spécialiste des politiques publiques et de la productivité.
- Bengt Holmström : professeur émérite au MIT, lauréat du prix Nobel d’économie 2016 pour ses travaux sur la théorie des incitations et des contrats.
- Nicolas Petit : professeur à l’European University Institute, expert reconnu du droit de la concurrence et de l’économie numérique.